La puissance de l’harmonie

Silvia, Malena, Helen. Trois femmes adeptes du Yoga Ashtanga Vinyasa, ce yoga dynamique né à Mysore, au sud de l’Inde. Trois amies complices qui ont mis au point le yoga immersif, alliant asanas et méditation. Trois âmes en parfaite adéquation, qui ont trouvé sur leur tapis de yoga une recette pour la vie. Rencontre.

C’est un lieu qui leur ressemble. Le Shala (“maison” en sanskrit), inauguré en septembre 2015, est une vaste pièce à l’énergie solide, baignée dans une douce lumière de fin d’après-midi.

Malena Beer

Un ancien studio d’artiste où l’on se sent instantanément… bien. Apaisé. Accueilli. Et artistes, elles le sont. L’Italienne Silvia et l’Argentine Malena sont toutes deux danseuses et chorégraphes professionnelles, et continuent de pratiquer la danse en dehors de leurs heures de yoga. Helen, la plus jeune, d’origine anglaise, allie design de bijoux et créations lumineuses (on retrouve ses installations à la Fête des Lumières de Lyon et de Pékin). Mais c’est sur le tapis que cet incontournable trio créatif s’est soudé. Ensemble, de Montreuil à la Toscane en passant par le Portugal, elles enseignent un yoga tantôt dynamique, tantôt lent, mais toujours ancré dans la pleine conscience.
Helen, mèches blondes et regard doux, Silvia, chignon flou et tatouages, Malena, longue chevelure brune ondulée et sourire bienveillant. Autour d’un thé vert et quelques dattes fraîches, elles livrent leur histoire. Une histoire d’amitié, de voyages, de rencontres… et de lâcher-prise.

Énergies complémentaires

L’ardeur, la discipline, le travail : rien n’est jamais facile. Mais pour Silvia et Malena, tout advient « comme une évidence. Sans forcément croire au destin, on peut croire en sa propre force ». Toutes deux ont eu la danse comme porte d’entrée vers le yoga : quelques postures pour s’échauffer, recommandées par leurs professeurs respectifs, mais rien de très fouillé. En 2003, quittant son Argentine natale pour la France, Malena, « toute perdue à Paris », traverse un moment d’adaptation éprouvant. C’est instinctivement qu’elle se tourne vers le yoga. La pratique quotidienne, autodidacte (elle n’a alors pas encore les moyens de se payer des cours), sera pour elle une bouée de sauvetage. Sur le tapis, elle se sent « centrée, [elle] sent, [elle] observe. » Elle fait connaissance avec sa future amie Silvia en 2005, lors d’un stage auprès de Caroline Boulinguez – la seule formation de professeurs d’Ashtanga Vinyasa Yoga qui se fait en trois ans.
Séduites par ce yoga énergique qui se base sur la synchronisation précise du souffle et des mouvements (ou vinyasa en sanskrit), elles entreprennent en 2009 un voyage aux sources de l’Ashtanga : destination Mysore, dans l’État du Karnataka en Inde, la ville qui a vu naître ce style de yoga grâce à Sri K. Pattabhi Jois (1915-2009). Un véritable voyage initiatique, qui leur donnera envie de revenir en Inde, encore et encore. Une fois par an, précisément ! C’est à Goa, par exemple, qu’elles font connaissance avec le couple allemand Rolf et Marci Naujakot, dont elles nous montrent une petite photographie encadrée : tout sourire, Malena et Silvia posent avec leurs maîtres.

Silvia Di Rienzo

Ensemble, elles font le tour du globe et « galopent sur le tapis », selon l’expression de l’énergique Silvia. Pourtant, c’est à Montreuil qu’elles ont choisi de poser leurs valises en 2015. « Anandakala est avant tout une association. Il nous paraît important de participer à la vie de quartier. » Un quartier qu’elles adorent : « Le côté “village” de Montreuil, le cinéma Le Méliès, les chai au lait de soja qu’on prend au coin de la rue… Tout en l’ayant trouvé très naturellement, organiquement, on aime passionnément notre point ­d’­attache. » Toutes trois tiennent à ce que le yoga soit accessible en se fondant dans la vie quotidienne et culturelle de leur ville. « Le yoga est un support pour la vie, et non l’inverse », suggère Silvia.

 

L’union fait la force

À leur retour d’Inde en 2009, Malena et Silvia entreprennent de délivrer un enseignement nomade dans les studios parisiens qui veulent bien les accueillir. Un noyau d’adeptes prend forme petit à petit. Noyau dont fait partie une certaine Helen, venue s’essayer au yoga sur les recommandations d’une ostéopathe… particulièrement clairvoyante ! Ses professeurs n’en reviennent pas : Helen est curieuse de tout, profondément assidue, leur pose mille questions et les abreuve de commentaires à la fin de chaque cours. « Elle nous écrivait des romans ! On s’est dit : c’est elle qu’il nous faut », confie Malena. Mais Silvia et elle le savent : tout vient à point à qui sait attendre. Chaque chose en son temps… Alors, lorsque Helen demande à Silvia comment « approfondir sa pratique », celle-ci lui offre une réponse ­étonnante : « Tu trouveras ton maître. » « Sa réponse m’a laissée pantoise ! » se souvient Helen.

Helen Eastwood

Les trois femmes le répètent comme un mantra : les bonnes nouvelles arrivent lorsque l’on est au bon endroit, au bon moment. Et pour cela, un seul facteur entre en jeu : notre capacité à s’arrêter pour observer notre vie avec bienveillance et ouverture d’esprit. À cet instant, les éléments “s’alignent” et l’on réalise tout à coup notre potentiel. « Les choses se présentent à vous au moment où vous êtes prêt à les recevoir », résume Helen. Exit l’acharnement stérile, l’attitude défaitiste ! « Dans la vie comme dans la pratique des asanas, tomber n’est pas une fatalité, rappelle Silvia, philosophe. On s’arrête, on respire… et on recommence. »
C’est l’Anglais John Scott qui saura détecter en Helen le potentiel d’une future enseignante. En elle, cet ancien élève de Patthabi Joi

s décèle un « bourgeon de yoga » prêt à fleurir. En lui, Helen trouve son maître lors d’un stage à Londres. Diplôme en main, elle rejoint tout naturellement les cours de l’association de Malena et Silvia, Anandakala Yoga. D’abord pour effectuer des remplacements en cas d’urgence, puis en tant que professeur à part entière.

Merveilles microscopiques

Au fil des cours, ateliers et retraites estivales est né le Yoga Immersif. Cette forme de yoga très délicate allie des postures tenues sur la durée et une méditation de pleine conscience. « Au début, les élèves nous demandaient de faire des focus sur des asanas, des positions particulières. Mais pratiquer ce genre d’exercice en fin de journée, quand on est fatigué, ne sert à rien », explique Malena. Les professeurs cherchent alors « quelque chose de lunaire, doux, profond », qui leur permettrait d’allier tout ce qu’elles ont appris jusque-là : lectures, danse, chants, mantras…
Le Yoga Immersif prend la forme d’un « voyage anatomique, énergétique, émotionnel ». Il est, surtout, une véritable leçon de subtilité puisqu’il implique un travail de visualisation incroyablement précis : « Nous nous réapproprions notre corps en passant par le biais physiologique : tissus, muscles, nerfs, veines… Nous nous concentrons sur des choses qui relèvent de l’infiniment petit pour chercher ce que l’on appelle le corps subtil. » Difficile à imaginer ? « Cela paraît abstrait, mais c’est en fait un engagement au micromillimètre près », souligne Helen. Silvia, elle, raconte comment un élève l’a remerciée à la fin d’un cours en affirmant « n’avoir jamais ressenti son corps d’une telle manière ». Pendant les cours de yoga immersifs, Silvia et Malena entrent elles-mêmes en état méditatif – « C’est énorme, on sent presque les microparticules dans l’air, notre toucher est comme décuplé… Bref, on va très loin, c’est un peu surréaliste ! » s’enthousiasme Helen. Pour elle, le yoga « affine ta relation au monde, aux éléments qui t’entourent et aux autres individus ». Il existe par exemple « une continuité de ce que tu fais sur ton tapis à ce que tu mets dans ton assiette », complète Malena. Une continuité, tout comme les énergies d’Helen, Silvia et Malena semblent idéalement complémentaires. Comme trois pièces d’un puzzle. Elles forment un trio complice, rieur, tactile, qui n’est pas sans rappeler l’étymologie sanskrite du mot “yoga” : union.

Texte : Clémentine Koenig, Photographies : Isabelle Nègre
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