Dénouer ses émotions

Selon le célèbre yogi Iyengar, six émotions assombrissent notre bonheur : le désir, l’orgueil, l’obsession, la colère, la haine et l’avidité. Des émotions qui peuvent nous ronger de l’intérieur, mais qu’il est possible de transformer en paix intérieure.

Êtes-vous du genre à ressasser, tout en vous brossant les dents, la énième remarque idiote de votre voisine ?

Un(e) charmant(e) collègue – déjà marié(e) – vous obsède au point de vous empêcher de dormir ? Ou assaillez-vous votre conjoint de textos pour lui rappeler ces petites choses – oh ! que c’est agaçant – qu’il ou elle n’a toujours pas faites ? Nous éprouvons tous des sentiments négatifs, mais lorsqu’ils s’enracinent dans le corps et l’esprit, ils peuvent se muer en “trouble émotionnel”. Le célèbre professeur de yoga B.K.S Iyengar, disparu en 2014 à l’âge de 95 ans, distinguait six troubles émotionnels : le désir, l’orgueil, l’obsession, la colère, la haine et l’avidité. Ce sont, selon lui, des “altérations de l’esprit”. Que nous pouvons heureusement apprendre à maîtriser à travers le yoga. Car le yoga est le chemin vers la paix intérieure, comme il le dit.

L’idée n’est pas de ne plus jamais rien ressentir de tel. Il est important de ne pas réprimer ses sentiments. En effet, le yoga fait en sorte qu’on puisse mieux les ressentir. Le yoga augmente la conscience que l’on a de son corps et l’assouplit, de sorte que les émotions peuvent circuler de manière plus fluide. Et si elles circulent, elles peuvent également être évacuées, sans se déposer plus en profondeur, affirme le maître. Seule une émotion négative qui se fixe est à même de causer un trouble émotionnel. « Le yoga est contre l’assujettissement, déclarait Iyengar. L’assujettissement, c’est être coincé dans des schémas comportementaux dont on ne peut pas se détacher. » 

La roue de la paix

Les six troubles sont donc des ressentis tout à fait normaux, banals, qui par mégarde se sont retrouvés figés dans notre pranamaya kosa, c’est-à-dire dans notre corps subtil ou corps énergétique, où se nichent selon la philosophie du yoga les forces vitales. Et là, ces sentiments ont un effet négatif sur notre pensée. « Dans un organisme sain, les sentiments devraient passer comme les nuages devant le soleil, écrivait Iyengar. Quand les sentiments, par la pensée, s’ancrent dans la mémoire, ils deviennent émotions et ne sont plus liés à l’instant, mais au passé. Plus denses et plus obscurs, ils sont comme des nuages d’orage faisant écran au soleil. Ces émotions stagnantes nous empoisonnent et nous empêchent de poser un regard limpide sur la réalité. » C’est ainsi que des pensées obscures ou de noirs désirs continuent à vous tourmenter, même lorsque tout va bien.

Grâce au yoga, vous pouvez dénouer ces six troubles émotionnels. Vous avez besoin, selon le maître yogi, des “six rayons de la roue de la paix” :

1) Le discernement vous permet de distinguer ce qui est important.

2) Votre raison vous aide à rester raisonnable.

3) Le détachement aide à se libérer d’anciennes souffrances.

4) La confiance en soi et la confiance dans le yoga sont indispensables.

5) Le courage est essentiel, pour se voir tel que l’on est vraiment.

6) Le sixième rayon est la pratique, c’est-à-dire les asanas et le pranayama, les exercices de respiration.

« Si vous pratiquez le yoga, de l’intelligence afflue dans les différentes parties de votre corps, disait Iyengar. Pas votre faculté intellectuelle, mais une autre sorte d’intelligence, liée à la conscience, rayonnante, claire et éveillée. » En d’autres mots, la conscience de votre corps se renforce.

Exercices calmants

Sabine Naud, professeure de Yoga Iyengar et fondatrice de l’Espace Nataraja à Paris, explique : « En yoga, nous avons en réalité cinq corps, ou niveaux de corporalité, les koshas : le corps physique, le corps énergétique, le corps mental, le corps d’intelligence et le corps causal. Selon B.K.S. Iyengar, la pratique des asanas permet de traverser, d’explorer ces cinq niveaux, en passant notamment par les émotions, pour découvrir qui nous sommes réellement. »

De son côté, la première élève d’Iyengar aux Pays-Bas et désormais professeure, Agnes Mineur, précise : « Le yoga aide certainement à atténuer les troubles émotionnels. Votre corps est l’instrument qui permet de guider votre esprit. Mon expérience est que l’on retrouve la tranquillité quand on réalise la série d’exercices présentée par Iyengar dans ses ouvrages [voir pages suivantes]. Les exercices apaisent, apportent équilibre, paix et calme intérieur, et permettent de penser positivement. » L’effet maximal de chaque posture ne se produit pas immédiatement, mais après quelques minutes. Le cerveau s’apaise. La série complète, qui dure environ une heure et demie, est particulièrement puissante. « Les émotions sont là ; nous leur laissons leur place, mais par la pratique nous les dépassons pour aller vers notre véritable nature, bien plus vaste et permanente : nous nous libérons de leur emprise », ajoute Sabine Naud.

Agnes Mineur renchérit : « Après une leçon, les élèves rayonnent de paix intérieure. J’appelle cela la rencontre avec soi. On lâche prise sur les obligations extérieures. Je ne vois que gratitude et satisfaction sur les visages. »

Yoga signifie “unir” : le yoga unit le corps et l’esprit. « Lorsque vous étirez vos muscles, vous étirez également votre système nerveux, révèle Agnes Mineur. Les prestations sportives raccourcissent vos muscles et donc également vos nerfs. Le yoga les allonge. Vos doigts picotent, la chaleur et le calme vous envahissent. » Exécuter les exercices avec précision est caractéristique de ce yoga. « La méthode Iyengar commence par une attention précise au placement visible du corps physique. Nous tenons les postures plus longtemps que dans le cadre d’autres méthodes de yoga, nous avons le temps de porter une attention aiguë à tout ce qui est en nous : les sensations, les crispations, les légères douleurs, les émotions éventuelles qui se manifestent au cours de la pratique. Nous sommes face à notre réalité physique, psychique et émotionnelle : la prise de conscience se fait, nous n’en avons pas le choix », précise Sabine Naud.

La gauche et la droite doivent être en équilibre, le bras gauche à la même hauteur que le droit, etc. Cela aide à l’intégration des deux hémisphères cérébraux.

Nous ne pouvons pas changer notre caractère ni notre sensibilité. C’est ce qu’Iyengar essayait d’expliquer : nous sommes humains, avec nos limites. Mais grâce au yoga, nous pouvons cultiver “une seconde nature” qui nous prépare aux effets des émotions sur nos points faibles. Certaines personnes lèvent les épaules en cas de stress, d’autres respirent plus vite. Une personne sujette à l’hyperventilation oublie de respirer quand elle a peur et verse immédiatement dans l’angoisse. « Le placement précis du corps physique crée des lignes continues : l’énergie n’est plus bloquée par une épaule trop levée ou crispée, elle ne stagne plus dans un ventre comprimé. L’espace de notre corps physique amène l’espace dans notre conscience. Les deux sont liés », ajoute Sabine Naud.

Peur d’Iyengar

Ne pensez pas que vous n’éprouverez plus jamais la peur, la colère, la tristesse ou l’euphorie une fois que vous aurez guéri les six troubles émotionnels en vous. Iyengar lui-même était connu pour son irritabilité. Ses initiales B.K.S. étaient ironiquement déclinées en Beat, Kick, Shout (frapper, donner des coups de pied, crier).

La professeure Nanda Peek, qui l’a beaucoup fréquenté, se souvient : « Vous aviez tout simplement peur de lui durant la leçon. Mais après la leçon, il était devenu incroyablement doux et gentil. » Comment est-ce possible ? « Il se fâchait quand il voyait que les gens ne faisaient pas de leur mieux », explique-t-elle. Par son intensité, il vous amenait au-delà de vos limites. Il employait sa colère de manière positive. Cela rendait les leçons passionnantes. »

Nos émotions ont une fonction. « Si vous ne pouvez jamais vous mettre en colère, tout devient mou et flou. Et dans ce cas, où va l’énergie ? La colère sert un but. Elle recèle une énergie qui peut vous mener vers un objectif et tenir éloignées les mauvaises personnes. » Ainsi, il ne s’agit pas de transformer nos émotions et de faire disparaître le négatif, « mais plutôt de développer l’intelligence nécessaire pour acquérir du discernement et vivre nos émotions clairement. En leur donnant de l’espace, nous évitons la réaction impulsive de l’émotion inconsciente, incontrôlable », complète Sabine Naud.

Une heure de yoga et nous voilà reconnectés à l’énergie neutre de l’être, le prana« Le yoga est la liberté, dit Nanda Peek. Il affranchit des émotions. Votre bonheur n’en dépend plus. »

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