Emmanuel Thiery, du profane au profond

Il s’initie au yoga à 20 ans en regardant des vidéos, devient accro au Bikram à 25. Celui que sa grand-mère appelait “petit fakir” est aujourd’hui professeur de Yoga Hatha, de yin et de kundalini.

Emmanuel Thiery aime relier les choses et les personnes qui l’inspirent : la poésie de Charles Baudelaire, l’univers d’Alejandro Jodorowsky, l’alchimie de Patrick Burensteinas, l’enseignement de Surinder Singh, la joie du Kundalini… Pour un yoga “non duel” qui ne rentre dans aucun code : ludique, gouleyant et intense, qui lui ressemble.

J’ai découvert Emmanuel Thiery durant le confinement… Une belle pièce épurée, une large porte-fenêtre ouverte sur un jardin verdoyant que l’on imagine immense, arboré et luxuriant au-delà de l’écran. Un paon crie quelque part. Emmanuel Thiery donne ses cours à distance depuis… Minorque. Assis au milieu de son tapis, il parle calmement face à la caméra (de son smartphone), prend quelques minutes pour introduire la séance qui va avoir lieu. En plein confinement, les six vidéos simples et lumineuses de sa chaîne YouTube sont comme une profonde respiration, un grand bol d’air frais. Il parle posément d’une voix profonde comme s’il avait fait cela toute sa vie. Et c’est le cas. Journaliste télé pendant dix ans, il a commenté des reportages effectués dans tous les coins de France sur des sujets divers – et pas toujours très passionnants. Il a dû trouver le ton, le phrasé, une subjectivité assumée. La maîtrise de la voix permet de faire passer un message, pendant les cours de yoga également. « Pour moi, Satya, plus que la vérité, c’est la sincérité et l’authenticité. » Les vidéos qu’il a tournées pendant le confinement l’ont reconnecté avec les premiers cours de yoga de Lionel Coudron en VHS, qu’il suivait sur le magnétoscope familial quand il avait 20 ans. « Il avait une moustache à l’époque et un pantalon bariolé [rire], et il avait une voix super ! » La boucle est bouclée.

Et avec les Chroniques yogiques réalisées avec Maya Shala, il renoue avec son amour de jeunesse, la radio. Des podcasts de 5-6 minutes (sur Spotify) instructifs : vous y apprendrez pourquoi Ganesh a une tête d’éléphant, ce qu’est un chakra ou encore ce que signifie Ashtanga… Parsemés de petites références pop, ils sont sans prise de tête. Saviez-vous que le fondateur du Yoga Iyengar, B.K.S. Iyengar, a servi de modèle pour un personnage du jeu vidéo Trip Fighter, celui qui a les bras qui s’allongent ? « C’est le genre d’anecdote que j’adore, faire des ponts avec le super profane, l’anodin… », avoue Emmanuel, les yeux pétillants.

Le choix des mots

Et dans ses cours aussi, les mots ont leur importance : longs en bouche, pleins de poésie et évocateurs. Emmanuel Thiery aime raconter des histoires, faire des connexions et ouvrir des espaces mentaux. Ses indications de mouvement sont émaillées d’images, de références venues d’ailleurs, souvent liées à des sensations anciennes. Quand vous devez échauffer votre épaule, « ça craque, ça croustille », ou relâcher, desserrer telle ou telle partie du corps, « c’est délicieux comme un dé-ssert – dessert ». Une rotation du poignet, qui sollicite votre peau jusqu’au coude et crée une sensation de chaleur ? Tiens, ça fait comme des câbles de vélo. « Je ramène à des choses de mon socle conceptuel, peut-être moins érudit : des sensations, à l’enfance, aux saveurs, ce n’est pas forcément élaboré intellectuellement, mais cela ravive une mémoire de sensations. » Les mots utilisés font des liens entre les sens, comme le fait le poème Correspondances de Charles Baudelaire qu’il adore, nom qu’il a d’ailleurs choisi comme adresse courriel.

En effet, Emmanuel fait appel à la synesthésie : il a constaté que « la structure fractale du corps peut se déployer paradoxalement avec quelque chose de très verbal, de très littéraire ». Et si « faire des ponts par le verbe » fonctionne pour lui, « ça doit fonctionner pour les autres aussi ». Car selon lui : « On ne peut pas enseigner le yoga, on partage ce que l’on a vécu. J’ai envie de transmettre la joie, ce que ça a changé pour moi, ce que ça a permis d’ouvrir, de soigner, de connecter, de partager. C’est la transmission d’une expérience. »

« Dire “s’il vous plaît” crée une incroyable prédisposition pour le cerveau. »

Emmanuel s’est formé au Yoga Hatha auprès d’un maître de yoga de Rishikesh, Surinder Singh, mais sans avoir vraiment formalisé le projet spécifique de devenir professeur. « Surtout, j’étais content de passer du temps avec Surinder, d’approfondir la pratique, d’avoir une Sadhaya régulière pendant tout un mois, avec un enseignement théorique. » Revenu à Paris, le projet d’émission pour enfants qu’il devait réaliser pour France 4 est reporté de quelques mois. Il repart donc – aussi pour digérer une séparation douloureuse – faire du Kundalini dans un ashram au Pérou. À son retour fin 2017, le projet est finalement abandonné par la chaîne, et il se retrouve « le 1er janvier 2018 à Paris, sans travail, sans un sou, et sans nana ». Ce dénuement total sera propice au début d’une nouvelle histoire, d’amour et de yoga. Par un joli coup du sort, le professeur de yoga Nico Shanti part un mois en Inde et lui propose de le remplacer. Ce sera le début de l’enseignement.

Un corps de cristal

Sur une base Hatha, ses cours comportent des éléments de ses expériences diverses. Emmanuel Thiery n’aime ni les chapelles ni les obédiences. Il y a « ce paradoxe dans le yoga qui veut dire union, non-dualité, et qui se morcelle dans plein d’écoles ». Il a commencé le yoga avec Lionel Coudron dans son salon, mais s’y est vraiment mis « grâce à ce voyou de Bikram ». L’aspect addictif et grisant du Bikram l’a mordu quand il était à l’école de journalisme. Un passage qu’il revendique, « j’ai fait du Bikram comme un forcené », et ce yoga performatif et transformateur lui a permis, à 25 ans, d’arrêter de fumer, de boire de l’alcool et de prendre des drogues, de devenir végétarien… Bref, d’entrer dans le monde “adulte” et du yoga. Emmanuel s’est formé au Kundalini, qui a, selon lui, un univers très joyeux, ludique, et très beau du fait de sa dimension tantrique et de ces exercices qui se font à deux. Finalement, « tout t’enseigne », assure-t-il, pas seulement les formations : les lectures, les plantes, la nature, les parents…

« Notre corps est comme un cristal, si l’on veut que le prana circule, il faut être aligné. »

Son enseignement reste imprégné de celui qu’il a suivi auprès de Surinder Singh, « un professeur d’une douceur, d’une gentillesse extrêmes », qui dit tout le temps « please, thank you ». On retrouve la politesse, le plaisir et cette dimension ludique du maître dans les cours d’Emmanuel, qui vous demande de vous mettre en Chien tête en bas « s’il vous plaît », de vous étirer, « merci ». Selon lui, on n’obtient pas le meilleur avec la terreur ou à la baguette comme on peut voir dans certaines écoles ou auprès de certains professeurs, souvent des maîtres très réputés… Au contraire, ces petits mots très simples conditionnent le cerveau et le mettent dans un état particulièrement bénéfique à l’apprentissage. « S’adresser à l’autre en l’appelant par son prénom, ça fait une différence. Dire “s’il vous plaît” crée une incroyable prédisposition pour le cerveau» Et tout cela, ce n’est pas pour s’endormir sur ses lauriers… « Une fois que l’on s’est adressé au corps avec gentillesse et des mouvements simples, on peut aller vers des choses plus complexes, le corps est mieux prédisposé. » Pour aller plus loin. « Pourquoi pas pour faire la posture sur la tête, une flexion arrière où, d’emblée, on aurait eu un peu peur d’aller ? Car, effectivement, il y a des résistances. Le corps les emmagasine. C’est pour ça que le yoga est tellement bénéfique, il vient reprogrammer. »

Reprogrammer et mettre le corps en alignement pour « faire ce lien, du corps, de l’âme, de l’esprit, de cette totalité du tissu humain. L’alchimiste Patrick Burensteinas a démontré que c’est l’alignement de la matière qui fait la différence. L’alignement des molécules de carbone fait que la lumière circule ou pas, et qu’elles deviendront soit un morceau de charbon, soit le diamant le plus pur. Notre corps est comme un cristal, si l’on veut que le prana circule, il faut être aligné ». Une voix posée, des mots bien choisis, de la délicatesse, de la joie et de l’esprit ; chez Emmanuel, la forme sert toujours le (pro)fond.

Texte Céline Dupuy Photographies Anaka

Du 1er au 8 mars 2026, partez avec Emmanuel Thiery une semaine dans le désert marocain : « Yoga et sagesse yogique, cheminer au rythme du désert ».

Un séjour unique organisé en partenariat avec Voyages intérieurs.


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