Thierry Marx : « Le yoga m’aide à savoir qui je suis »

À la tête de la restauration d’un grand palace parisien, le chef étoilé Thierry Marx, adepte des arts martiaux et de la course à pied, pratique le yoga, médite et mange… végétarien. Derrière le grand chef médiatisé, il y a un homme engagé qui prône une alimentation plus végétale issue d’une terre vivante, et qui agit pour aider les vivants, justement.

Yoga magazine : Depuis quand pratiquez-vous le yoga ?
Thierry Marx : Je me suis mis timidement au yoga il y a cinq ans par nécessité, après une blessure au bras et à l’épaule que je m’étais faite au judo. Le yoga m’intriguait mais j’en avais une image erronée. Cela m’a fait un bien fou et m’a rendu plus performant dans ma vie professionnelle et dans mes activités sportives, à la course à pied et au judo. Je me suis aperçu que je ne savais pas du tout m’étirer. Le yoga m’a fait découvrir tous mes muscles ! Grâce au yoga, j’ai commencé à mieux respirer, à avoir une foulée différente et à mieux récupérer. Cela m’a donné énormément de mobilité, à la course, au judo, au kendo. Dans les arts martiaux, il faut avoir une vraie posture, les hanches doivent être engagées avant la tête. Avec le yoga, j’ai compris le pourquoi de tout ça. Et j’ai eu l’impression de prendre 15 cm, c’était étonnant. Au début, je l’ai fait par nécessité, mais en fait le yoga a apporté du bien-être dans ma vie. Le yoga m’a déverrouillé !

 

Qu’entendez-vous par “déverrouillé” ?
Lors de mes premiers cours de yoga, je me suis dit : « Mais qu’est-ce que c’est chiant, ça fait mal… » Je trouvais ça dur. Je m’agaçais, je pensais que je n’y parviendrais jamais. Quand on arrive au yoga sur le tard comme moi, ce que l’on craint, c’est le ridicule… Je me sentais juste comme un sac de ciment par rapport à ces filles filiformes qui se tordent dans tous les sens dans les studios de yoga. J’y suis revenu quand même, et j’ai mis en place un programme de yoga et de tai-chi dans l’entreprise [à l’hôtel Mandarin Oriental, Paris], pour les clients et les collaborateurs. L’enseignant vous apprend à vous délier et à respirer. De la respiration naît ce côté très délié du corps. Ces 45 minutes de yoga font beaucoup de bien à ceux qui y participent. Mes collaborateurs le confirment : « Quand il n’y a pas la séance de yoga, je suis moins bien. » Ceux qui souffrent du dos ont moins de problèmes. Certains s’initient du bout des doigts et des pieds, et finalement ils restent. C’est la même chose avec les cours de tai-chi. Bien que je sois encore novice, je retrouve ce plaisir de la mobilité, d’être délié. Cela me sert énormément dans mon quotidien, de pouvoir travailler de manière égale à droite et à gauche, d’avoir une vision à 360°.

 

Est-ce que le yoga vous aide à maîtriser vos émotions ?
Comme tout un chacun, je subis des pressions et je vis des frictions. Le yoga et la méditation m’apaisent. J’ai commencé la méditation avant de pratiquer le yoga, mais je sentais qu’il manquait quelque chose. Le yoga m’aide à savoir qui je suis, où j’en suis, et à l’accepter. Désormais, le yoga fait partie intégrante de mon travail de méditation qui m’aide à mettre du temps entre mes émotions et mes actions. Je fais souvent la métaphore de la tasse de thé : quand une émotion vous arrive brutalement, demandez-vous si vous avez le temps de vous faire une tasse de thé avant de répondre. La méditation apprend à recevoir des émotions, à les assimiler et à répondre dans les bonnes proportions, si tant est qu’il y ait une réponse à faire. Il n’est pas nécessaire de répondre aux mots par d’autres mots.

 

Pour la photo dans Yoga magazine, vous avez choisi de réaliser la posture du Pigeon. Que représente-t-elle pour vous ?
C’est une des premières postures que j’ai comprises au yoga, au niveau de la respiration, de l’étirement total. Elle me permet d’étirer le dos, les fessiers, les ischio-jambiers. C’est la première posture que j’ai aimée car elle me fait un bien fou. Je peux y rester assez longtemps sans qu’elle me torture. Il se trouve qu’au judo, une personne qui n’est pas déverrouillée au niveau des hanches, là où se placent les émotions, ne passera aucun mouvement, ou alors, en haut et en force, et elle se fera mal musculairement.

 

Vous êtes très sportif. Que le yoga vous apporte-t-il de plus ?
Le yoga n’est pas une compétition avec soi-même. Je retrouve dans le yoga la même sensation que dans la course à pied. À 56 ans, je participe à des marathons mais je sais que je ne vais pas gagner la médaille d’or olympique ! La minute que je gagne, je la gagne sur moi-même. Quand j’ai réussi à tenir une posture au yoga, j’ai cette même sensation. Je reprends conscience de son corps, de mes potentialités, sans juger. J’ai, grâce au yoga, une analyse assez claire, précise et bienveillante de mon corps. L’approche du sport en général est différente : on se trouve comme ci ou comme ça, on veut plus de biceps, plus d’abdos… Il n’y a pas cette défiance-là avec le yoga. Et finalement, vous allez tout travailler : votre dos, votre posture, vos abdos… Quand je suis revenu du Japon, j’étais très gêné par la pollution à Paris. Je me demandais si je n’étais pas allergique à quelque chose, et avec le yoga, je me suis réapproprié ma respiration.

Votre métier vous conduit à cuisiner la viande et du poisson, comment conciliez-vous l’utilisation de ces ingrédients avec le principe de non-violence ?
J’ai découvert la cuisine ayurvédique, très végétale, en Inde. Ces principes alimentaires ont bouleversé ma vie. De retour en France, j’ai immédiatement mis cela en pratique dans un rapport de 80/20 [80 % végétal, 20 % animal]. Au début, je continuais à manger de la volaille, mais j’ai arrêté également. J’ai su me défaire de la viande et du sucre, et je me sens beaucoup mieux. Sur la carte du restaurant, il y a bien sûr le choix. Tous les produits sélectionnés sont environnementalement responsables. La viande rouge vient de bœufs qui ont vécu de façon exceptionnelle. Il n’y a pas de poissons d’élevage. Je choisis des légumes qui proviennent d’une terre saine et qui n’ont pas voyagé trop longtemps. Pour moi, la cuisine, c’est le lien du vivant, de la terre à l’assiette. Aujourd’hui, énormément de cultivateurs et d’éleveurs s’interrogent sur une agriculture responsable et cherchent à ne plus subir les variations des cours des matières premières. Je défends des éleveurs et des cultivateurs qui se sont remis dans une agriculture raisonnée et dans des circuits courts. Et ils gagnent bien mieux leur vie aujourd’hui. C’est du bon sens.

 

Comment cette vision s’accorde-t-elle avec le travail du Centre français de l’innovation culinaire que vous avez inauguré en 2013 ?
“Quelle gastronomie pour 2050” est l’axe de recherche de cette chaire universitaire dirigée par le jeune enseignant chercheur Raphaël Haumont. On y entrevoit la cuisine de demain. Il y aura beaucoup de gens à nourrir en 2050. Alors que certains nous prédisent des aliments de synthèse, en termes de consommation, c’est le végétalisme qui se profile, avec la réappropriation des circuits courts, et un nouveau rapport végétal/animal. Nous étudions la nature et nous nous inspirons des processus du vivant, ce qu’on appelle l’innovation par le biomimétisme. Mais il faut d’abord commencer par proposer une nourriture qui ne rend pas malade. Pour cela, il faut rendre à la terre sa vie. De nombreuses parcelles dans le monde n’ont plus de vie. Il y a dix ans, quand on a créé le CEFIC, personne ne voulait en entendre parler. Nous faisions soi-disant de la cuisine moléculaire, mais l’idée était de comprendre ce qu’on ingérait. Les grands groupes agroalimentaires ne s’intéressaient pas à nous. Aujourd’hui, ils viennent tous consulter le laboratoire…

 

Vous pensez donc que nous devons respecter la planète ?
Oui bien sûr, c’est une évidence, mais la planète n’a pas besoin de nous. Même si nous mourrons tous en raison du réchauffement climatique, elle s’en sortira ! Cependant, nous avons une responsabilité environnementale. Si on utilise les pesticides, il faut être conscient des conséquences. Voici un exemple : les lombrics sont de longs vers de terre qui se nourrissent de la terre et qui la nourrissent, qui l’aident dans le processus d’ensemencement. En 1950, il y en avait 2 tonnes à l’hectare, et aujourd’hui il en reste seulement 200 kg à l’hectare. La terre a besoin de se revégétaliser. C’est la plante qui fait la terre. Ce cycle est rompu depuis 40 ans du fait de la culture intensive. Il y a une responsabilité de celui qui produit ainsi que de celui qui achète. Nous devons devenir des conso-militants. Si nous arrêtons d’acheter des tomates calibrées, on ne produira plus de tomates calibrées… C’est notre comportement de consommateurs qui va faire évoluer notre société vers une bonne alimentation, et qui sera bio de fait. Je milite dans ce sens et j’agis dans ce sens dans tous les aspects de ma vie.

 

Vous avez créé cinq centres professionnels d’insertion gratuits [Cuisine Mode d’emploi(s)] et vous intervenez en milieu carcéral. Qu’est-ce que ces actions représentent pour vous ?
L’altruisme c’est quelque chose qui vous apporte à vous-même, énormément. En outre, je viens d’un de ces quartiers (politique de la ville). On en connaît les maux, et les maux se sont durcis. Par la perte d’emploi des parents et des grands-parents, il n’y a plus de projets d’épanouissement. Les quartiers se replient sur eux-mêmes. Je considère qu’il n’y a pas de quartiers faits pour l’échec et il n’y a pas de personnes faites pour l’échec, mais il y a des gens qui se trouvent déconnectés du système très tôt. Le chemin était plus large à mon époque et balisé d’adultes ; ils étaient plus nombreux. Aujourd’hui, le pas entre l’ordre et le désordre est extrêmement rapproché. Il faut aider les personnes à élaborer un projet, ce qui leur permet de regarder la route droit devant eux.

 

Qu’est-ce qui vous donne toute cette énergie pour mener à bien ces nombreux projets, qu’ils soient professionnels ou sociaux ?
Aider les autres, c’est aussi environnemental. Quand vous vous sentez épanoui, vous pouvez transmettre de l’énergie positive. Quand vous avez un projet, vous trouvez la vie plus simple. En tant qu’individu, je trouve ça très énergisant, ces personnes me ramènent à la juste valeur des choses, alors que par moment, je m’en éloigne.

 

En fait, vous appliquez le principe du Karma Yoga, de l’action désintéressée…
J’ai une posture de cavalier, « calme, en avant et droit », comme disait le général L’Hotte. Je veux être bien avec moi-même, et pour cela il ne faut pas que j’aie de tiroirs. Je ne suis pas gentil, je suis moi. J’ai travaillé avec le professeur André Cognard qui vivait au Japon. Il a écrit un merveilleux livre, Vivre sans ennemi [Éditions Le Relié], ce qui pour moi était impossible, un fantasme… Quand j’ai commencé à intervenir en détention – j’utilise des couteaux dans mes démonstrations de cuisine –, André Cognard m’a dit : « Le détenu n’est pas ton ennemi, il a des codes, des postures différentes de la tienne. Tu n’as pas à entrer dans ses codes et il peut être intéressé par les tiens. » C’est un travail sur soi-même. Quand vous avez cette volonté de ne pas vous fabriquer d’ennemis, vous n’avez pas tendance à remonter vos épaules et vous respirez mieux. Votre interlocuteur le sent.

Nos chaleureux remerciements à l’hôtel Mandarin Oriental, Paris, qui nous a accueilli pour l’interview et la séance photo.

Propos recueillis par Céline Dupuy, Photographies : Isabelle Nègre
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